Secteur pionnier de l’économie sociale et solidaire, l’insertion par l’activité économique (IAE) s’est développée depuis 30 ans autour d’un objectif : ramener au cœur de l’économie les personnes les plus exclues et fragiles. Ce mouvement s’est opéré progressivement, souvent de manière sourde, parfois autour de moments marquants, tels que le Grenelle de l’insertion en 2007, le rapport Borello en 2018 ou encore le rapport de la Cours des Comptes début 2019.
Le 10 septembre dernier, une nouvelle étape est franchie avec le « Pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique », remis à la ministre du travail, Muriel Pénicaud, par Thibault Guilluy, président du Conseil de l’inclusion dans l’emploi. Dans la foulée, le gouvernement a annoncé sa volonté de faire passer le nombre de contrats en insertion à 240 000 (contre 140 000 aujourd’hui) et de débloquer 40 000 postes pour les entreprises adaptées. Cette dynamique, accompagnée d’un effort budgétaire conséquent (1,3 milliard d’euros) et d’une simplification des démarches, donne l’impulsion à un véritable changement d’échelle.
Un nouveau tremplin pour le secteur ?
Si ce Pacte d’ambition ne se présente pas comme une révolution, il n’en demeure pas moins une avancée très concrète pour le secteur. Tout d’abord, en proposant un développement à la fois quantitatif et qualitatif. Thibault Guilluy le rappelle : « L’IAE relie l’économique et le social. Pour intensifier ce mouvement, notre premier objectif avec le Pacte était d’y apporter un soutien massif en traduisant notre ambition en volume. Ensuite, il fallait un développement qualitatif, au-delà de l’effort budgétaire. Nous avons alors tenté valoriser le meilleur de ce qui est déjà fait et de lever les freins au changement d’échelle. Cela se traduit, par exemple, par davantage de confiance accordée aux personnes de terrain, l’adaptation de l’offre aux besoins spécifiques de chaque structure, ou encore la création d’un CDI inclusion pour les publics seniors sans solutions. » Le Pacte propose, par ailleurs, une amélioration des conditions de recrutement des personnes en insertion. En effet, là où le contrôle de l’adéquation du profil à un emploi en insertion se faisait avant embauche, le rapport préconise un rapport de confiance a priori, facilitant l’emploi, avec la possibilité d’un contrôle a posteriori. « Le fait de lever ces lourdeurs administratives ne peut que nous aider. Cette suppression de l’agrément va nous donner un second souffle », commente Yazid Boudjedia, directeur du développement du Groupe ID’EES, qui avait formulé cette proposition. « On passe du pilotage de la contrainte au pilotage de la croissance », confirme Olivier Dupuis, secrétaire général de la Fédération des entreprises d’insertion. « Cette ambition affichée part du fait que, depuis plusieurs années, on sait qu’on peut faire mieux. C’est une marche importante pour l’insertion, il y en aura plusieurs. On ne chamboule pas le secteur, mais on l’affine, on allège et on le simplifie. »
Des actes attendus et reconnus
L’annonce budgétaire montre également, que derrière les discours, les actes sont là. Ce que saluent les acteurs du secteur. « C’est très positif, parce que le message qu’on porte en tant qu’entrepreneurs sociaux est entendu. C’est bien d’avoir des Pactes, des préconisations…, mais l’important, c’est la concrétisation. C’est le cas aujourd’hui avec l’enveloppe budgétaire qui porte une volonté d’assouplissement et de développement de l’emploi », se félicite Ludovic Blot, directeur de Ressources T, entreprise d’insertion bretonne, spécialisée notamment dans le recyclage d’équipements électroménagers, dont 65 % des emplois sont en insertion.
Pour Alexandra Miailhe, directrice générale de la SCIC Saprena :« L’État donne les moyens aux différents secteurs de l’insertion d’accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi ». Cette entreprise adaptée située en Loire-Atlantique emploie 370 salariés dont 66% des personnes sont en situation de handicap. « En ce qui nous concerne, l’effort est important sur la transformation des entreprises adaptées. L’État mise sur nos performances. En tant qu’acteur social, c’est fondamental, car notre rôle dans la société est reconnu. Sans nous, où iraient ces personnes ? » Aujourd’hui, les entreprises adaptées créent des emplois et proposent de construire des parcours professionnels à leurs salariés, permettant d’intégrer des entreprises dites classiques.
Une autre des améliorations portées par le Pacte est remarquée : l’acteur public devra désormais se justifier quand il ne recourt pas à un contrat d’insertion. « Dans toute transaction économique, la question de l’insertion devra désormais se poser. Notre développement passe par là : si les pouvoirs publics sont exemplaires, cela “ruissèlera” sur les entreprises classiques, qui seront amenées à se réinterroger sur leur propre RSE », analyse Ludovic Blot.
Financer l’ambition
Si l’effort est louable, certains angles morts demeurent et des problématiques devront être résolues. Notamment dans la mise en œuvre de cette ambition et le financement des entreprises de taille intermédiaire. « Il y a une tendance à la précarisation des publics en insertion. Ce qui nous donne un chantier de fond : l’équilibre du modèle économique. Il aurait été intéressant de pouvoir activer des financements pour absorber les coûts d’encadrement », commente Julien Adda, directeur du réseau Jardin Cocagne, spécialiste des ateliers et chantiers d’insertion (ACI).
La question du financement sera en effet prégnante pour poursuivre ces ambitions. Pour Ludovic Blot : « L’enjeu ici est le “hors-radar”, ceux en dessous des très gros tickets d’investissement. On va avoir besoins d’outils financiers pour les intermédiaires. Pour cela, nous sommes confiants en la capacité d’acteurs comme France Active de pouvoir nous soutenir ». Même écho chez Thibault Guilluy : « Le rôle des financeurs à impact social est fondamental pour créer un environnement stable pour le secteur et apporter des réponses adaptées à tous les types de structures. Les acteurs comme France Active peuvent accompagner au plus près les modèles économiques même fragiles, en émergence comme pour un changement d’échelle. Cela réduira le nombre de personnes qui passent encore au travers des mailles du filet. »
De nouvelles perspectives
Le champ ouvert par ce changement d’échelle est encore très vaste. Le secteur sera notamment confronté à la question du croisement des problématiques sociales et écologiques. Julien Adda le rappelle : « Face au contexte actuel de choc climatique, de crise sociale et de précarisation, les ACI étaient une proposition pour faire converger, via l’inclusion, toutes les problématiques, notamment la question agricole où il nous est possible agir rapidement ».
La question du numérique sera également prégnante. « Les acteurs de l’insertion ont été pionniers de l’économie circulaire. Mais aujourd’hui, il faut épouser les défis actuels. La transition numérique est une opportunité et un risque pour le secteur. Comment y répondre quand une grande partie de nos salariés sont exclus de ces domaines ? Il faudra se réinventer en créant de nouveaux parcours, de nouvelles montées en compétences et donc de nouvelles employabilités », affirme Ludovic Blot.
Autre axe de développement à venir essentiel : la structuration du secteur autour de l’articulation de tous les acteurs privés, publics, associatifs…. « Il est fondamental d’arrêter la redondance. Le système est déjà très riche : nous devons mettre en lien tous les types d’intervenants, avec de la fluidité. Ce qui est annoncé va dans le bon sens. Il faut l’ancrer et ne pas sauter les étapes, afin de ne pas créer de fragilités. C’est là que l’Inclusive Tour, qui mobilise des acteurs très variés pour booster l’emploi des personnes en situation de handicap dans 16 villes de France, a du sens. Et il faut prendre le temps de jauger comment on construira ensemble le secteur à l’avenir », analyse Alexandra Miailhe.
Pour Thibault Guilluy, quant à lui, l’enjeu se porte sur : « l’articulation de l’ambition nationale à chaque territoire, en veillant à ce que les plus fragiles aient un meilleur soutien. On doit embarquer les établissements publics, les régions comme toutes les collectivités, mais aussi les entreprises classiques avec, par exemple, des mesures d’incitation et des formations pour les dirigeants aux problématiques de l’inclusion. »
Un levier vient d’ailleurs d’être créé pour mieux consolider l’éco-système : le référentiel RSE ouvert sur l’inclusion de la Fédération des entreprises d’insertion. Son objectif : évaluer l’engagement et le niveau de maturité des entreprises qui voudront se « labeliser » inclusion. « Tout notre enjeu est d’amener les entreprises à aller plus loin dans le domaine et de partager plus largement notre vision de l’économie. Car si l’inclusion par l’emploi reste un sujet d’expert, cela ne deviendra jamais un sujet de société », précise Olivier Dupuis. Dans ce contexte, le modèle des joint-ventures sociales, mis en place par le groupe ID’EES ou le Groupe Ares, constitue une perspective d’ouverture intéressante. Grâce à des partenariats avec Vinci des salariés en emploi d’insertion construisent progressivement un parcours professionnel avant de rebondir vers un emploi durable. « Les employés en insertion constituent un vivier employable pour ces entreprises, précise Yazid Boudjedia. Ce modèle de joint-venture est essaimable. Cette dynamique peut donc libérer l’entrepreneuriat et l’envie de créer des nouveaux modèles inclusifs »
Ainsi, si par le passé les emplois en insertion pouvaient susciter la méfiance, le Pacte devrait alors achever de banaliser leur intégration dans la sphère économique. « Il y a toujours besoin de convaincre le monde économique de faire appel à nous. Mais beaucoup d’entreprises sont déjà dans ce mouvement, notamment dans le cadre de leur politique RSE. L’insertion est un formidable moyen de s’engager », conclut Yazid Boudjedia.
Quels sont les objectifs des entreprises adaptées ?
Tout d’abord être un acteur économique sur les territoires en développant de l’emploi majoritairement à destination des personnes en situation de handicap. Mais aussi, aujourd’hui, proposer de nouvelles approches d’expression et d’accompagnement professionnel des salariés.
En quoi l’entrepreneuriat adapté résonne-t-il avec les valeurs de l’ESS ?
Les entreprises adaptées s’inscrivent complètement dans les valeurs de l’ESS. Elles se destinent majoritairement à un public fragilisé et en marge de l’emploi. N’oublions pas que 19 % des personnes en situation de handicap sont au chômage, dont un très gros pourcentage de très longue durée. Nous avons donc, d’une part, une mission sociale dans le retour à l’emploi et, de l’autre, une visée entrepreneuriale. Car c’est par le biais de la création de valeur que nous pouvons réinsérer les personnes mais également faire vivre les structures. Quand on analyse les entreprises adaptées, 75% des leurs ressources sont issues de l’activité de commerce.
Quels défis pour les entreprises adaptées dans les années à venir ?
Leur rôle doit être plus important dans la lutte contre le chômage des personnes handicapées, avec une fonction de premier accès à l’emploi, notamment pour les jeunes en situation de handicap. Aujourd’hui l’EA est encore trop vue comme une solution de dernier employeur. Elle doit devenir une possibilité comme une autre de premier emploi. Nous avons également un enjeu de métier en proposant de nouvelles activités. Le secteur se tertiarise, il faut continuer à se diversifier, à innover, notamment pour mieux répondre aux attentes des jeunes en situation de handicap.